MERCREDI 4 OCTOBRE

04/10

La séance a débuté par l’énoncé du planning du procès :

– lors des premiers jours, la parole sera donnée à chacun.e des inculpé.es pour qu’iels puissent s’exprimer, répondre aux questions visant à esquisser leurs parcours, éventuels antécédents judiciaires, personnalités et déterminer quels étaient leurs liens au moment des arrestations

– le 09 octobre sera abordée la question des explosifs

– le 10 octobre au matin l’expert mandaté par la cour viendra témoigner

– les 11 et 12 octobre la question de la détention d’armes par les prévenu.es et celle des parties d’airsoft seront étudiées

– le 13 octobre l’audience portera sur le cryptage des moyens de communication des prévenu.es et leurs potentiels « projets »

– le 17 octobre seront entendu.es des témoins de « contexte »

– le 18 octobre des témoins de « personnalité » seront appelés par la défense pour s’exprimer à la barre

– les 18 et 19 octobre des interrogatoires plus approfondis sur les personnalités de chacun.des prévenu.es auront lieu (C et M le 18, B, W, F, S le 19)

– le 20 octobre auront lieu les réquisitions du Parquet

– les 24 et 25 octobre se tiendront les plaidoiries de la défense

– les 26 et 27 octobre auront lieu les délibérés

– le 27 octobre le jugement sera rendu

La requête des avocats de la défense de faire témoigner les enquêteurs de la DGSI a été refusée par la présidence.

4/10

Les avocats de la défense ont argué que les policiers sont des citoyens comme les autres et à ce titre doivent pouvoir répondre de leurs actes et être soumis à comparution. Plus de 150 procès-verbaux leur sont attribués dans la procédure, dont certains essentiels à l’accusation, qui repose pour beaucoup sur leurs investigations. Ils sont donc des témoins qui doivent absolument être entendus.

Certains éléments, notamment une vidéo filmée à Paulnay, sont manquants au dossier alors que ce sont des éléments décisifs qui pèseront sur le délibéré, et seuls ces deux agents peuvent témoigner de ce qu’ils contenaient. De même, un « tri » a été effectué au sein des écoutes à la discrétion de ces agents, sans l’aval d’un magistrat, sans que l’on sache sur quelles bases.

La citation à témoigner de M. Barraud, expert en explosif, ne repose que sur les éléments reccueillis et sélectionnés par ces agents sans que l’on puisse savoir sur quels critères ces éléments ont été transmis, nourrissant le soupçon d’une instruction uniquement à charge.

A cette requête le parquet a répondu qu’aucune demande préalable d’entendre ces témoins n’avait été formulée avant le procès, que les agents de la DGSI ne sont pas des témoins « lambda », et que c’est une stratégie de diversion de la défense de s’attaquer à l’institution pour éviter de parler du fond de l’affaire, à savoir l’accusation de sept personnes d’avoir des intentions terroristes.

« les principes du contradictoires s’appliquent en toutes circonstances » (présidente)

1207SI et 856SI sont les principaux agents (environ 150 PV dans le dossier) il est donc primordial pour la Défense d’avoir leur témoignage. Ils sont témoins directs des éléments à charge qui doivent être débattus.

Par exemple, ils sont les seuls à pouvoir expliquer pourquoi la vidéo de Paulnay a été effacée et ce qu’elle contenait. Ou encore les éléments manquants dans les réquisitions, ou le tri qui a été effectué dans les retranscriptions d’audios.

Si le PNAT souhaite faire citer en témoin un expert en explosif, qui lui même s’est basé sur des retranscriptions de la DGSI, la Défense doit interroger ces agents sur la manière dont ces retranscriptions ont été effectuées.

Selon une avocate, il y a là une « rupture de l’égalité des armes entre le ministère public et la Défense ». Elle demande à ce que soit, en dernier recours, utilisé l’art. 439 du CPP qui demande l’intervention de la force publique pour faire citer un témoin.

4/10

Le Parquet fustige les avocats de faire diversion et d’invoquer l’article 6 de la CEDH comme un « point Godwin ». Il déclare « j’en suis presque à tenir un décompte sur toutes les mentions aux atteintes aux droits de la Défense » et dénonce un « sur-activisme de la Défense ». Afin de délégitimer les atteintes graves aux droits de la Défense, il dénonce une stratégie de « détourner l’attention du fond du dossier ».

Sur le « tri » opéré par la DGSI concernant les écoutes, il évoque l’article 100-5 du CPP qui stipule que seuls les éléments à charge doivent être retranscrits.

Les avocat·es rappellent que leur rôle et l’honneur de leur profession est bel et bien de fustiger toute atteinte aux droits de la Défense et qu’iels continueront tant qu’il y aura lieu de le faire. Iels rappellent notamment que des choses banales, telles que l’accès au scellé du contenu d’un disque dur, sont rendues impossibles par la DGSI. Une autre avocate rétorque qu’il est primordial pour la Défense de comprendre comment des PV peuvent dire le contraire des sonorisations ».

Suite à la remarque d’une avocate, la présidente rappelle que « nous ne sommes pas dans une juridiction d’exception » (lol).

4/10

Les juges prendront presque une heure pour délibérer du fait d’insister auprès de la DGSI pour que les agents répondent à leur convocation, pour finalement ne donner aucune réponse claire au retour du délibéré.

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PHASE DE PRESENTATION DE CHAQUE INCULPÉ

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La présidente souhaite procéder par ordre alphabétique. Elle dit vouloir « mieux connaitre » les inculpé·es et passer en revue le CV de chacun·e. Les questions sont en général soit banales soit perfides. Au final, elles insistent énormément sur les points au cœur des présomptions de culpabilité : opinions politiques, voyages, chocs liés aux violences et crimes policiers à la ZAD de Sivens, critiques de la justice, réactions au confinement, etc.

Les questions des juges poussent dans le sens du PNAT et tentent de faire parler les inculpé·es sur leurs rapports aux violences policières, aux institutions, à l’écologie, à la lutte, etc.

~~~ Bastien

Il aurait du avoir un CDI au moment du début de l’affaire, qui a empêché cela.

Il voulait s’installer sur un terrain.

Est évoquée une sensibilité à la cause animal dont il avait parlé plus tôt : « Est-ce que cette sensibilité irait jusqu’à arrêter la viande ? »

Une tentative est faite par les juges pour déceler si B serait adepte du survivalisme, on lui demande de s’expliquer longuement sur ses craintes du futur (éco-anxiété, fascisme, etc.). « Est-ce qu’il faut se protéger d’un péril à venir ? » Une juge lui demande s’il est en « rupture avec la société ». Il répond que non, qu’il consomme, notamment des jeux vidéos. Son avocat lui fait dire que non, qu’il est très sociable.

Questions sur ses expériences des ZAD de Sivens et NDDL : « Je lis dans votre enquête de personnalité que vous avez été très marqué par la violence que vous y avez vu. » Elle cherche à le faire raconter, mais il ne parle que de rencontres, de personnes avec des savoirs-faire artisanaux (brasseurs, boulangers, éleveurs…) Elle finit par évoquer l’assassinat de Rémi Fraisse, et donner le fond de sa pensée : « Y a-t-il eu un problème avec les forces de l’ordre ? Pas de ressentiment ? »

Des propos recueillis en GAV sont cités. Il ne s’en souvient pas. Kempf lui demande « Pourquoi ? » B se met à pleurer. La Juge note son émotion. C sort en pleurant par empathie.

La juge enchainera des remarques mesquines contre C, comme si sa sortie était un affront à son autorité. Lors de son interrogatoire, l’une des juges cherchera à donner du sens à cette empathie, comme si c’était surprenant, étrange, signe de quelques chose d’autre que de l’empathie.

La juge termine sur les liens entre les inculpé·es : il ne connait pas deux d’entre eux, et à peine deux autres.

4/10

~~~ MANU

Il commence par une déclaration spontanée pour rappeler la violence et l’incompréhension de cette procédure. Il dit qu’il est en colère d’être là face à elles, et qu’il est terrorisé. Évoque la violence de cette répression, et des 10 mois d’enfermement. Il rappelle que dans ce contexte il aura peut être du mal à répondre à certaines questions.

Des applaudissements spontanés sont très vite réprimés par la présidente qui ne tolère aucune réaction du public.

4/10

Il revient sur son parcours de vie et ses voyages. Notamment la Colombie. Il rappelle que la DGSI avait émis une suspicion qu’il était entré en contact avec l’ELN là-bas, suspicion que le Juge d’Instruction a déformé en affirmation. OKLM quoi.

« Tous les mots sont piégeux » nous enseigne la présidente. (bac +10 en philo)

Il est interrogé longuement sur les motivations qui l’ont conduit à vouloir rejoindre le Rojava. Un choix murement réfléchi d’aller aider le peuple kurde sur laquelle les juges laissent planer leur suspicion que ce serait dans le but de s’aguerrir aux techniques militaires (on sent que l’article de Mathieu Suc en 2019 a bien été lu!). Les juges cherchent à lui faire dire qu’il voulait y aller pour prendre les armes. Il répond brillament « je voulais être cohérent avec l’amour que je porte pour les gens, la nature et les animaux ». Mais la juge persiste : « vous vouliez apprendre des expériences en milieu… hostile ? » Les questions tordues continuent : il aurait déclaré vouloir « lutter contre l’intolérance », Il lui est demandé de préciser laquelle. ça a quelque chose à voir avec les violences policières ? s’interroge la juge, hors sujet complet.

Lui demandent comment il envisage sa lutte. Il prend l’exemple du fait de réagir à des propos lors de discussion. La juge :  » donc la lutte ça peut être par la parole ? » « oui. » « Et ça peut prendre d’autres formes ? » « 

Vient le tour de la Procureur, qui ouvre également les hostilités : « vous pratiquiez l’airsoft pour vous entrainer à partir au Rojava ? » Elle insiste sur le Rojava, son contact sur place, comment il a communiqué et ce qu’il lui a dit. Elle revient également sur la thèse du « terrain d’expérimentation », qui pour le PNAT, incapable de comprendre ce que signifie une révolution sociale, écologiste et féministe, se résume à expérimenter le maniement des armes pour s’aguerrir. Elle continue en faisant référence à des propos tenus en GAV concernant la culture du « martyr » et laisse penser que ce serait pour y mourir en martyr que Manu aurait souhaité rejoindre la révolution du Rojava. Conception réductrice et raciste de la procureur, qui encore une fois est à des années lumières de ce que peut signifier, pour un peuple en proie à une politique génocidaire, que de « mourrir en martyr » et rejoindre le bataillon immortel. Elle demande ensuite si en décembre 2020 il avait toujours l’intention de se rendre au Rojava, afin de faire valider la thèse du PNAT qui consisterait à dire que les parties d’Airsoft sont des entrainements dispensés par Libre Flot.

S’en suivent des questions stupides sur son choix d’avoir traversé l’europe en camion avec son ami pour se rendre en Irak au lieu de monter dans un avion asceptisé à Paris pour atterrir directement là bas.

4/10

Elle tente d’insister sur l’aspect TRAUMATIQUE (la psychiatrisation est constante pour chacun·e des inculpé·e) de l’expérience de Libre Flot là bas, et demande si ce ne serait pas cela qu’il aurait cherché (encore l’idée de partir pour mourir en martyr).

Enfin, les avocat·es prennent brièvement la parole. Iels observent que l’entièreté de la personnalité de Manu ne semblent pas réellement intéresser le ministère public, avant de revenir sur les valeurs de Manu (autonomie, entraide, lien avec la nature) et son trait de personnalité principal : c’est une vraie piplette!

Enfin, la présidente fait un rapide bilan de ses liens avec les autres inculpé·es: il connait bien Libre Flot mais les autres très très peu.

~~~ CAMILLE

Elle déclare être dans un état émotionnel très éprouvant et suivre un traitement médical. Elle rappelle (sans le nommer ainsi) que les procédures judiciaires sont violentes et que se présenter devant un tribunal est une violence. Elle rappelle également l’absurdité des accusations et de la procédure.

Les juges sont très hostiles avec elle. Après avoir passé en revue son CV et ses engagements dans la vie : le soin, le sport, l’animation, le militantisme, etc.

4/10

La discussion se crispe pendant 1h autour de son refus des expertises ordonnées par le JI, et du refus de certain.es de ces proches de répondre à l’enquête de personnalité. « Vous donnez l’impression que vous étiez presque en colère qu’on cherche à vous connaitre ». Elle répond à plusieurs reprises qu’elle préfère répondre d’elle-même à des questions qui la concernent. Elle évoque le contexte particulièrement bouleversant dans lequelle elle a écrit cette lettre, et tient à ce qu’elle soit comprise en lien avec ce contexte (arrestations, prison, Contrôle Judiciaire, flou du dossier). Et en même temps, elle affirme être ouverte au dialogue.. Les juges ne démordent pas de la question et s’acharnent à la confronter à une lettre qu’elle a écrite au juge d’instruction, dans laquelle elle dénonce, juste après sa sortie de détention, la présomption de culpabilité et les biais évidents de ce type d’expertise. Elle s’appuie sur un livre de Véronique Blanchar « Sous l’oeil de l’expert » qu’elle a lu en détention.

Les juges se surprennent qu’elle remette en question cette démarche, et cherchent à interpréter sur ce que cette critique cacherait. Une juge assesseuse se montre particulièrement agressive en faisant le lien entre cette lettre, cette critique d’une institution étatique, et une potentielle volonté de « s’en prendre aux institutions », comme cela était énoncé par la DGSI dans son rapport de judiciarisation. Elle cite, interpellée, un extrait de la lettre de Camille où elle dénonce les oppressions classistes, racistes et sexistes de la « Justice ». « La juge que je suis dois vous poser la question : Est-ce que vous reconnaissez la Justice française ? »

4/10

Camille revient sur le contexte de l’écriture de cette lettre. Elle souligne aussi le fait que cette critique des institutions n’est pas faite par elle seule. Sur une citation de Véronique Blanchar qu’une des juges relève dans la fameuse lettre, Camille lui répond que ce serait à l’intéressée de développer plus avant, et qu’il y a des spécialistes sur le sujet dont elle n’est pas.

Les juges n’ont de cesse d’insister : « Je vous rappelle que nous rendons la Justice au nom du peuple français! » s’exclame la présidente. La salle pouffe de rire. La messe est dite !

Cette même assesseuse de continuer, éberluée : « Vous dites qu’il y a des réflexions à avoir sur le fonctionnement des institutions. Vous réflechissez dans quel cadre ? »

Au détour d’une réponse de Camille, une personne applaudi. La juge demande aux flics de sortir la personne. Ils prennent quelqu’un dénoncé par le Proc. D’autres proches de Camille se lèvent et protestent en quittant la salle. C’est un procès politique.

Puis une autre assesseuse embraye sur les études de C. Elle la fait parler du sujet de son mémoire de Master de littérature qui en gros est autour de l’impact de l’expérience de la guerre sur la création littéraire de 3 auteurs comme Dino Buzzati. Elle cherche à savoir ce que ça lui a apporté comme vision du monde, comme projet de vie. C évacue l’absurde question sur le projet de vie, mais elle développe sur les enjeux autour du rapport à la mort, au deuil :  » faire son deuil seul ou pouvoir le faire collectivement par exemple, ce n’est pas du tout pareil ». L’assesseuse de tenter plus frontalement, en annonçant qu’elle risque d’être « à côté de la plaque » : « Vous avez étudié des auteurs qui ont vécu la guerre, est-ce qu’il y a un lien avec un projet d’action violente ? » C de préciser qu’elle n’a pas étudié la guerre, que les écrits n’étaient pas historiques, mais qu’il s’agit de littérature. L’assesseuse de reconnaitre qu’elle n’y est pas « je n’ai pas fait d’études littéraires »…

Le procureur : « Qu’est-ce que vous pensez de l’usage de la violence ? »

– « Mes positions sont très claires : je ne cherche pas de violence, et aucun fait de violence ne m’est repproché. » Le procureur évoque des « formes de violences » comme chez les blacks blocs, et dans les ZAD : « Quelle est votre position par rapport à la légitimité de ces violences ? »

Son avocat Guillaume Arnaud vient clôturer la séance, en revenant sur le sujet de la lettre :

– Est-ce que vous l’avez écrite parce que vous pensez que vous étiez la meilleure personne pour répondre à des questions vous concernant ?

– Oui.

– Est-ce que vous pensez qu’on peut critiquer la Justice ?

– J’espère qu’on peut le faire !

– Est-ce que vous pensez que critique signifie violence ?

– Non.

– Est-ce qu’il est difficile de se défendre d’un projet qui n’existe pas ?

– Oui.

3/10