Libre Flot nous a fait parvenir un nouveau message en ce 17éme jour de grève de la faim que nous retranscrivons ici:
Aprés 17 jours de grève de la faim, les institutions bien conscientes de ce qui se passe, restent totalement indiferentes. Alors que mes proches se font de plus en plus d’inquietudes des conséquences et sequelles irrémédiables que cette grève de la faim ne tardera plus bien longtemps à me faire souffrir pour le restant de ma vie, que puis-je leur répondre?
Que de toutes façons les conséquences de cet enfermement existent déjà, que je souffre déjà dans mon corps et que mon esprit n’est déjà plus que l’ombre de lui même. Que les sequelles sur ma psyché necessitent déjà de longs soins et que si je reste ici ça ne va que s’empirer.
Ici je suis temoin de la perte de raison de mes voisins, je les entend changer au cours des mois qui passent, j’en entends certains perdre pied, si ce n’est sombrer dans la folie.
Et qu’en est il de moi? Ma situation est elle plus saine, emmuré dans mon mutisme? Dans un pantomine de vie étudiante qui ne me trompe même plus? A apprendre une langue étrangère alors que ma mémoire s’éffiloche, à m’imaginer évoluer en passant une semaine sur une leçon d’une demi heure qui n’est pourtant que des revisions. Alors, dégradation pour dégradation, séquelles pour séquelles, autant que ce soit de mon choix, autant que ce soit pour pousser ce cri de vie, autant que ce soit pour lancer cet appel à l’aide: Sortez moi de ce tombeau !Salutations et respect.
message du 16 mars 2022
Merci pour votre soutien.
Son état de santé se stabilise mais il commence à voir son corps se ramollir, ses muscles fondent doucement. Il refuse évidemment toujours les plateaux repas de l’administration penitentiaire. Il a désormais obtenu d’avoir 4 rdv avec sa medecin par semaine. Il garde le moral et de la force.
Mercredi dernier le rassemblement à Toulouse à réuni 150 personnes mais n’a pas pu partir en déambulation, le rendez vous est redonné ce mercredi 16 mars à 18h à Jeanne d’arc (voir iaata.info). A Montreuil un premier rassemblement est appelé Lundi 21 mars à 18h (voir sur paris-luttes.info). On espere voir d’autres rassemblements et actions de solidarité continuer d’emerger un peu partout, pour visibiliser la lutte que mène Libre Flot pour sa libération.
Merci à toutes les orgas, collectifs et individu.es relayant la parole de notre ami enfermé.
Vous trouverez en suivant une lettre datant d’avant la grève de la faim à propos de ses conditions d’isolement.
CREVE LA TAULE ! LIBERTé POUR TOUS.TES
Des ami.es de Toulouse
(Lettre adressée à ses soutiens et à l’envolée)
Le vendredi 18 février 2022, au QI de Bois d’Arcy
S’il est vrai que je n’ai cessé de donner des nouvelles régulières par courrier puisqu’il était tout bonnement plus simple de poser le stylo et le laisser glisser au fil aléatoire de pensées éparses, cela fait 8 mois que je n’ai pas posé de texte spécifiquement sur l’isolement. Non pas parce que la situation n’ait pas évolué mais bien au contraire qu’il m’est devenu tellement plus ardu de m’y mettre. Plusieurs fois, j’ai voulu écrire (sur différents sujets) mais c’était devenu comme impossible, la concentration est douloureuse et au final, c’est toujours l’abandon, la remise à plus tard… la déception ! Ce texte sera donc très certainement plus bref que les précédents (voir les lettres publiées en mai et octobre 2021 sur le blog et dans l’envolée).
Mais vu qu’hier on m’a bien fait comprendre qu’il ne fallait pas que je m’attende à sortir d’isolement, que c’était joué d’avance… et en suivant la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) vis à vis de ma demande de mise en liberté (DML), je me dis que c’est le moment d’écrire car si je sors, je ne le ferait peut être pas et si je reste… au moins ça sera un constat de la situation à ce moment là.
Hier donc a eu lieu le débat contradictoire pour mon maintien à l’isolement, la mascarade trimestrielle. Il est surprenant de constater qu’après plus d’un mois à demander, en vain, un rendez vous avec ma docteure attitrée, il soit mis au dossier, ce que je qualifierai de « foutaise ». Un avis favorable griffonné sur la lettre de la direction, tenant en deux mots : « Avis favorable » signé par un médecin inconnu, où mon nom est inscrit avec un numéro d’écrou n’ayant rien à voir avec le mien… BRAVO !
Mais attention ce n’est pas tout, la Pénitentiaire ne m’a pas oublié pour la St Valentin, car depuis le 14 février, je suis affublé de l’étiquette de « meneur ». Tout ça en ayant toujours et seulement été en isolement, sans avoir aucune communication avec d’autres détenus, sans participation à une quelconque contestation, sans même aucun compte rendu d’incident (CRI), bref sans raisons ! Félicitations ! (J’aurai préféré des fleurs…).
Sur le plan physique, malgré que je passe un temps quotidien conséquent au maintien de mon état corporel, être enfermé en permanence dans des boites trop petites, sans accès à une vraie promenade, ne me permet pas d’exercer la marche. 14 mois « sans marcher » ont affaibli considérablement mes genoux, tout comme l’inaccès à des activités affecte mes poignets… Ces articulations me sont, depuis un certain temps déjà, douloureuses. Mais bonne nouvelle : mes dents sont soignées !
Mais pire que tout, c’est mon cerveau qui déraille, la situation est devenue catastrophique. Déjà en octobre, lors de l’entretien avec le Juge d’instruction (JI), j’avais pu constater que je perdais le fil. Avant d’arriver à la fin de certaines questions, j’avais déjà oublié le début, de même que pour les réponses… Désormais c’est pire. (Heureusement, en février il a accepté de m’imprimer les questions pour que je puisse avoir un support pour pallier au déficit de mes capacités).
Le constat le plus brutal est apparu via les cours d’anglais. L’anglais en tant que langue n’est pas le problème (même si mon vocabulaire est pauvre et mes conjugaisons hasardeuses). Je comprends sans souci les énoncés et les textes servant de supports car cela est, selon moi « passif » : je n’ai pas à réfléchir, à créer une idée pour cela. Mais lorsque l’exercice demande d’analyser, d’apporter un avis, exigeant finalement une réflexion « active », le drame survient. Ce qui ne me demanderait qu’une demi heure en temps normal et qui au printemps dernier me prenait deux ou trois heures, m’est désormais hors de portée. Je sais que l’exercice est facile mais je ne peux pas, mon cerveau se bloque, comme s’il se transformait en gelée anglaise (en glaise?), comme si les synapses se rétractaient, déconnectant les neurones les uns des autres et que la matière grise se figeait en se dilatant et subissant alors une forte compression contre la boite crânienne me provoquant des maux de têtes terribles. Savoir que quelque chose est normalement facile et constater ne plus pouvoir le faire est d’une violence inouïe. Comme si je n’arrivais plus à faire mes lacets ou à me servir d’un interrupteur… J’ai l’impression d’être paralysé de la pensée.
Il m’est aussi devenu impossible d’assimiler une quelconque information sans un temps relativement long consacré spécifiquement à cela. Prendre en direct une décision ou faire un choix, même anodin, me rend perplexe voire paniqué. Par exemple un matin, un surveillant m’a gentiment laissé choisir, chose inhabituelle, si je souhaitais aller en opprimenade le matin ou l’après midi. Résultat : stress, angoisse, indécision, bug cérébral… je ne sais même plus si j’ai réussi à choisir…
Mon cerveau fonctionne au ralenti, les pensées ne se renouvellent pas, elles sont lentes et tournent en boucles sans vraiment évoluer. Je répète plus ou moins les mêmes choses dans mes courriers, il doit être rare que j’envoie des messages à caractère exclusif.
J’ai l’impression que durant toute une semaine, il passe, dans mon cerveau, autant de pensées différentes qu’il en passait en une heure autrefois.
Cette léthargie cérébrale rend toute tentative de réflexion lente et infructueuse et je me renvoie à l’image d’un zombie qui, refusant de quitter le monde des vivants, s’acharne mordicus à mimer pathétiquement l’activité de sa vie passée…
Libre Flot