Lettre ouverte aux juges d’instruction de l’affaire du 8 décembre
La dernière personne incarcérée dans l’affaire du 8 décembre vient de se voir refuser une nouvelle fois sa remise en liberté. Elle est donc maintenue, et ce depuis plus d’un an, sous le régime de l’isolement. On rappelle que ce qui lui est principalement reproché, en dehors des fantasmes de la DGSI, est d’être aller soutenir l’expérience d’autodétermination du Rojava et lutter contre l’Etat islamique à Raqqa. Ce nouvel entêtement de la justice à valider les délires des services de renseignement – et à pourrir la vie des 7 personnes inculpées dans l’affaire – a motivé la rédaction d’une lettre ouverte aux juges d’instruction en charge de l’affaire par l’une des mises en cause.
Lettre ouverte à l’intention du juge Jean Marc Herbaut, chargé d’instruction
et co juges Nathalie Malet et Emmanuelle Robinson
Mesdames, Monsieur,
Je vous écris car cela fait maintenant plus d’un an depuis nos arrestations que nos familles et amis subissent le poids de votre instruction. Cela fait maintenant plus d’un an que vous nous maintenez tétanisés par le poids de votre incrimination. Cela fait plus d’un an et pourtant il semble si difficile de faire entendre nos voix dans ce dossier.
En effet, si pendant nos interrogatoires et auditions nous avons tenté de remettre un peu de vérité et d’humanité dans le récit qui s’était construit sur nous à notre insu pendant les 10 longs mois de votre enquête préliminaire, force est de constater que peu importe nos dires ce sont toujours les mêmes mots qui seront in fine utilisés et inlassablement répétés : individus « déterminés », « fanatisés » – mots qui ne représentent que des jugements de valeur de votre part -, « groupe » alors que nous ne nous connaissons pas tous.tes et que l’enquête l’a prouvé, « leader » pour l’ami commun à toutes ces personnes que vous avez inculpées, « projet » ou encore « action violente » sans jamais être capable de nous les nommer ou de nous les définir, « armes » pour parler de répliques d’airsoft, etc. La liste serait trop longue pour être ici continuée, mais illustre parfaitement que votre prétendue enquête n’est fondée que sur la fiction performative que vous ainsi que la DGSI tentez de distiller.
Je ne peux alors que m’interroger sur la visée répressive de cette affaire car la « matérialité » de nos prétendues intentions ne semble reposer que sur des propos retenus lors de discussions anodines entre ami.es (ce qui à mon sens constitue une grave atteinte à la liberté d’expression) ou encore sur nos opinions politiques (ce qui cette fois porte une grave atteinte à la liberté d’opinion). Comment ne pas s’étonner du nombre significatif de questions politiques posées à nos entourages et nous-même ? En quoi ce que nous ou nos proches pouvons penser de la politique actuelle du président Macron peut bien intéresser votre enquête ? Et pourquoi des questions sur le fait que nous votions et si oui pour qui ? Mais pourtant tout y passe, du mouvement gilet jaune aux mouvements de dénonciation des violences policières. De l’écologie au survivalisme. Des anti-GAFAM à toute application ayant pour objectif de protéger ses données et sa vie privée. De l’antifascisme à l’anarchisme.
Non, le simple fait que nos considérations sur ce qui fait obstacle à l’émergence d’une société plus libre et équitable vous déplaise ne fait pas de nous des terroristes et je m’oppose à l’instrumentation du terrorisme à des fins de répression quelles qu’elles soient. Et alors même que vous semblez adepte de termes forts quand il s’agit de nous définir, cela ne vous gêne pourtant pas d’euphémiser et de cautionner la torture blanche qui se cache derrière le sobre mot d’ « isolement ».
Monsieur le juge, dans un long courrier que vous a adressé la dernière personne que vous maintenez en détention, il est fait mention d’une de vos déclarations selon laquelle nous vous ferions perdre votre temps dans la tâche qui serait la vôtre, c’est-à-dire lutter contre le terrorisme. On pourrait alors raisonnablement penser que, si vous avez le sentiment que cette affaire vous fait perdre votre temps, peut être n’a-t-elle simplement rien à faire entre vos mains ni même de raison d’être. Ainsi est-il peut être grand temps, monsieur le juge, de nous libérer du poids de votre enquête, car à nous, c’est bien notre vie qu’elle fait perdre.
Camille,
L’une des inculpé.es